Parce qu’il représente un moyen supplémentaire de protéger certains publics fragilisés, le secret professionnel des soignants est, cette dernière semaine, au cœur d’une vaste réflexion. Les kinés libéraux et plus généralement les professionnels de santé doivent-ils se voir contraints de le lever ou faut-il au contraire leur laisser la possibilité de prendre leur propre décision ?
Une nouvelle dérogation pour lever le secret professionnel pour les kinés libéraux
Le secret professionnel des masseurs kinésithérapeutes et plus généralement de tous les professionnels de santé est encadré par les différents codes de déontologie, le code de la Santé Publique mais aussi par l’article 226-13 du Code Pénal. Son importance est ainsi posée, même s’il existe des situations dans lesquelles les professionnels de santé doivent lever cette obligation du secret. Ainsi, les kinés libéraux et autres professionnels de santé sont tenus de lever cette obligation en cas d’ « atteintes ou mutilations sexuelles (…) infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ».
En juillet 2020, une nouvelle disposition est venue compléter ces exceptions, permettant de lever le secret professionnel, en vue de lutter contre le fléau des violences intrafamiliales. Le professionnel de santé a désormais le devoir de lever ce secret lorsqu’il constate des « violences exercées au sein du couple ». Pour pouvoir appliquer cette nouvelle mesure dérogatoire, ces violences peuvent être dénoncées si elles mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et que celle-ci n’est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l’emprise exercée par l’auteur des violences.
Une appréciation difficile pour les kinés libéraux et les professionnels de santé
Aujourd’hui, il existe déjà de nombreuses dérogations, puisqu’on en recense une cinquantaine qualifiée d’obligatoire (le professionnel libéral engage sa responsabilité s’il ne se soumet pas à cette obligation) et une trentaine dite facultative. La nouvelle dérogation appartient donc à cette seconde catégorie, et cela pose de nombreuses questions au professionnel de santé concerné. Lorsqu’un kiné libéral ou un médecin signale une situation auprès des autorités compétentes (Gendarmerie, Police, Procureur, …), le plus souvent le temps de traitement reste relativement long. La levée du secret professionnel (même lorsqu’elle est facultative) ne garantit en rien une réaction immédiate de la justice. En d’autres termes, la dénonciation de violences au sein d’un couple ne conduit pas ipso facto à l’éloignement du conjoint présumé violent, et la situation peut alors dégénérer pour le conjoint victime.
Pour le kiné ou le professionnel concerné, la question morale se pose avec encore plus d’insistance, puisque cette levée du secret professionnel peut également conduire à des représailles. Cette prise de risques, que ce soit pour le patient ou pour le soignant, complique la prise de décision. Certains professionnels de santé rejoignent alors les propositions de certains députés, proposant de rendre obligatoire cette levée du secret, et ne laissant donc plus aucune marge de manœuvre aux professionnels de santé concernés. C’est notamment le cas de la sénatrice (PS) de Loire-Atlantique et Vice-présidente de la commission des Affaires sociales, Michelle Meunier, qui défend cette idée de rendre obligatoire, et d’imposer à chaque kiné libéral, chaque infirmière, chaque médecin de procéder à un signalement dès lors qu’il ou elle a des soupçons. Elle justifie cette prise de position par la nécessaire protection des victimes d’une part mais aussi par celle des soignants eux-mêmes :
Tout ce temps perdu et cette solitude du professionnel… c’est autant de perte de chance pour les victimes
Enfin, selon les mêmes spécialistes de ce si délicat problème des violences familiales, il faudrait accompagner ces professionnels de santé, qui en exerçant leur mission d’intérêt public (aller au domicile de leurs patients pour les prendre en charge), sont amenés à être confrontés à ce type de problèmes, qui posent bien des questions. Pourtant, le problème est d’ampleur puisque les chiffres officiels du ministère de l’Intérieur évaluent à plus de 120 femmes tuées chaque année par leur conjoint ou ex-conjoint, mais aussi une vingtaine d’enfants… Chaque année, ce sont plus de 210.000 femmes, qui sont victimes de ces violences intra-familiales, et il ne s’agit que d’une estimation, quand on sait que la loi du silence règne en la matière. Il y aurait donc, pour certains, urgence à légiférer à nouveau sur la levée du secret professionnel des kinés libéraux et des professionnels de santé.
Et vous, avez-vous déjà été confronté à un tel dilemme ? Que pensez-vous de cette demande de rendre cette levée du secret professionnel obligatoire et non plus facultative ?
Je pense que le problème n’est pas de le rendre obligatoire ou pas mais de protéger le professionnel qui dénonce la maltraitance. Souvent le nom du professionnel apparaît et il est bien là le problème.
Mais il faut à tout prix protéger ces professionnels, ne rien divulguer sur eux !!
Non on saisit le procureur de la république et l’anonymat est préservé. Je l’ai déjà fait même pour des enfants mineurs. Je travaille seule et je n’ai jamais eu peur !
L’anonymat est conservé.
Par contre, ne faut-il pas dénoncer à chaque fois, quitte à se tromper ?
Comment prendre le risque d’un décès sous les coups ?
On ne peut pas détourner les yeux !
Camille Couteaux